Samedi 18 septembre
Bonjour à tous,
Je voudrais partager avec vous les souvenirs de la semaine que j'ai consacrée au brame du cerf.
Le brame est la période de reproduction du cerf, pendant laquelle mâles et femelles se retrouvent sur les mêmes territoires. Le reste de l’année, les mâles vivent séparés des biches et des faons. Le brame se déroule en septembre, plus particulièrement durant la seconde moitié.
C’est une période spectaculaire car le cerf, d’habitude extrêmement discret et silencieux, se transforme à cette époque en une boule d’hormones. Chaque mâle mature va chercher à constituer son harem de biches qu’il gardera jalousement. Son agressivité et son instinct de territorialité sont fortement exacerbés, essentiellement vis-à-vis des autres mâles, et le pousse même à combattre s’il le faut. Son aspect physique aussi est modifié. Comme chaque année il a refait sa ramure un peu plus grosse, et ses bois sont tout beaux pour ces dames et prêts à combattre les autres mâles qui oseraient tenter de lui chiper une biche. Sa poitrine aussi est changée : les poils y sont hérissés, ce qui lui donne une allure fière pour les biches et imposante pour ses rivaux. Son pelage est souvent « cuirassé », car il se roule dans la boue pour calmer ses ardeurs.
Mais la manifestation la plus spectaculaire du brame, ce sont les cris que pousse le cerf en rut, les raires. C’est un gros mugissement, en fait ça ressemble à un énorme rot, très profond et très long. Ce raire sert à impressionner les autres cerfs, à estimer la force entre deux adversaires (pour éviter le combat, qui est une énorme dépense d’énergie), à marquer auditivement le territoire, ou plus simplement à dire « j’existe et je suis tout excité ». Il servirait aussi à garder rassemblées les biches autour du cerf de place. Le cerf ne brame pas le reste de l’année.
Les affrontements entre mâles sont évités au maximum et souvent se terminent après une joute vocale, un concours de brame. Seuls deux cerfs qui s’estiment de force équivalente, et donc quand chacun pense avoir une chance de gagner, vont aller jusqu’au combat. La confrontation est très ritualisée, ce qui sert à estimer la force du rival et à encore éviter le combat. Si malgré tout ils doivent en venir jusque là, cela sera très violent, long ou court selon l’agressivité des combattants mais le perdant partira sans demander son reste, sous les brames de victoire du gagnant qui gardera son harem, ou en aura gagné un nouveau. Certains combats particulièrement violents peuvent causer des blessures plus ou moins graves .
Comme d’habitude photographier le cerf requiert des ruses de Sioux. Non seulement parce que l’animal est très méfiant naturellement, mais parce que les biches qui l’entourent et qui guettent en permanence autour d’elles augmentent d’autant la chance de repérer un prédateur. De plus, le dérangement pendant le brame peut avoir des conséquences beaucoup plus dommageables que le reste de l’année, car cela peut allonger le rut. Ca épuise le cerf qui se nourrit très peu, dort encore moins et dépense une énergie folle pendant cette période. De plus cela retarde les naissances, et donc amène des jeunes moins résistants à l’hiver de l’année suivante. Ces cerfs moins costauds traîneront ce retard toute leur vie. C’est pour ces raisons qu’encore plus que d’habitude je tente au maximum de ne pas me faire voir ni surtout éventer (repérage préalable, vent, camouflage, immobilité) et que je ne pratique que l’affût.
Cette année, je me suis octroyé une grosse semaine de congés, et j'ai planifié presque chaque journée en fonction de mes repérages durant l'année. j'irai observer les cerfs à trois endroits différents en Wallonie, dans trois biotopes différents.
Mais place aux images !
Samedi 18 septembre.
Après avoir chargé la voiture le vendredi soir, départ à 3h00. Rendez-vous sur le chemin à 4h00 avec Rüdiger, et nous continuons dans une seule voiture.
Comme chaque fois, tout commence par un lever de soleil. Aujourd’hui il est calme et brumeux. Les étangs, le fond de la vallée et la Semois toute proche créent une atmosphère presque pesante. Pas un seul vrai brame dans le silence. Juste quelques petits rots lointains ou étouffés par le brouillard, et le bruit des gouttes de condensation qui tombent des feuilles
Je savais avoir une chance de trouver un cerf et son harem dans cette vallée. Mais serait-il là le matin, très tôt ou plus tard, ou bien l’après-midi, où bien dans les minutes trop sombres qui précèdent le coucher du soleil ? Pour bien faire, mes repérages auraient du se faire sur des semaines et j’aurais du passer là chaque jour à des heures différentes pour relever les passages. Mais ça n’est pas toujours possible à cause de la distance alors je travaille au pot. Ca matin là, pas de bol : ils sont dans la clairière d’à côté, inaccessible car située sur une propriété privée. Cela nous donne l’occasion de faire une chouette balade embrumée avec malgré tout un affût dans les fougères. Rüdiger verra deux chevreuils très mal placés pour la photo, que je ne verrai même pas car je me suis placé loin de lui.
Petit coup de gueule : une biche passera tout près de moi, poursuivie par un chien bien nourri mais qui avait retrouvé pour une matinée son instinct dénaturé. Ce « prédateur » a poursuivi un chevreuil et d’autres biches, et je ne sais pas ce qu’il a encore fait après. Quel dérangement inutile !!!
La matinée se poursuit en repérages divers, et Jean-Pierre nous rejoint juste après la courte sieste. Nous décidons de revenir l’après midi dans cette fameuse vallée. Bingo ! C’est un 14 cors avec 10 biches et faons. Ils sont loin, mais se rapprocheront un peu et nous montreront quelques comportements typiques.
Nous restons bien cachés au bord du chemin, profitant de l’ombre de la lisière et des maigres buissons en bord de prairie. Je vérifie très souvent la direction du vent qui peut changer avec le déplacement du soleil et des zones d'ombres. Le cerf de la place et sa harde restent près d’une heure sur place, et rejoignent le couvert du bois privé vers 18h00. Nous restons immobiles encore plus d’une vingtaine de minutes afin de leur laisser le temps de s’éloigner, puis mettons le cap sur d’autres places, et nous voyons encore un daguet et une biche.
Le soir, petite bouffe puis nous allons écouter les gros cerfs s’affronter en joutes sonores, et nous voyons même plusieurs groupes dans la lueur des phares. Certains sont très proches des maisons ! Le concert est impressionnant car cela brame beaucoup et dans toutes les directions !
Nous nous plongeons avec délice dans nos sacs de couchage vers 00h30 et il ne faut pas nous chanter de berceuses pour nous endormir …
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Dimanche 19 et lundi 20 septembre 2010
Le fait de dormir sur place nous permet quelques heures de sommeil en plus : lever à 5h30 ! Nous nous rendons à un endroit repéré la veille où nous pensons pouvoir voir des choses intéressantes, avec suffisamment de lumière, sous un bon angle et avec un beau fond. Mais bernique ! Juste un cerf qui n’osera pas passer près de nous et fera un grand tour malgré notre immobilité de statue. Il fait encore presque nuit noire et ces trois masses inhabituelles aux pieds des arbres ont du trop l’inquiéter. En plus comme il venait de notre arrière il a certainement du nous éventer.
Le lever du soleil sur la crête lointaine est fabuleux et nous pousse à prendre le temps de faire quelques photos d’ambiance, puis nous décidons de faire encore un affût un peu plus loin. Finalement l’absence de brame proche alors que cela résonne partout ailleurs mais vraiment loin nous pousse à lever le camp.
Nous ne voyons aucun autre animal cette matinée-là. Par contre nous croisons beaucoup de promeneurs insouciants, ce qui doit inciter les animaux à rester dans leurs remises.
Repas de midi et petite sieste. JP est rentré chez lui.
La prairie de la veille nous fait de l’œil ... Si le cerf était là vers 17h00 la veille, en arrivant plus tôt nous avons une chance d’arriver avant lui et de pouvoir mieux nous placer. Deux observateurs quittent l’endroit quand nous garons la voiture vers 15h30, ce sont deux jeunes qui nous disent que le groupe est déjà là. Damned !!! Nous approchons lentement et avec des précautions de trappeur, mais nous faisons rattraper par un autre photographe visiblement plus amateur et qui ne semble absolument pas inquiété du risque de fuite, car il s’avance franchement sans précautions ni aucun camouflage. Nous le laissons avancer, le vent est très bon et peut-être ne fera-t-il pas fuir la harde. Nous nous installons dans une haie d’aubépine et attendons que le cerf et ses biches se rapprochent comme la veille. Mais l’observation est très courte, après à peine quelques minutes, le cerf se relève, il paraît nerveux. Il rassemble fiévreusement sa harde et brame, puis pousse ses biches sous le couvert. Sans doute notre « collègue » s'est-il quand même fait repérer …
Sur le chemin vers la voiture, Rüdiger fera une belle moisson de bolets !
Comme nous sommes franchement déçus de cette dernière séance avortée, nous nous arrêtons au bord de la Semois dans l’espoir de dénicher un bel endroit pour photographier un martin pêcheur. Nous le voyons de très loin, mais l’endroit est noté sur la carte, nous reviendrons ! De plus, l’herbe de la prairie est marquée par les couches d’une dizaine de cervidés. C’est sans doute là que le groupe de cet après-midi a passé une des nuits précédentes.
Sur la Semois, une bergeronnette des ruisseaux nous fait l’honneur de nous laisser contempler sa toilette méticuleuse.
La lumière commence à vraiment baisser dans le fond de la vallée, il est temps de rentrer faire les bagages et de revenir à la maison.
Lundi 20 septembre
Pas de sortie aujourd’hui. Mon fiston part en classe sportive pour une semaine, et je tiens à être présent lors de son départ. De plus la tirette du sac de couchage familial a lâché, il faut donc en acheter un nouveau.
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Mardi 21 Septembre 2010 (Hoge Veluwe)
Une journée dans le Parc National de Hoge Veluwe, au nord d'Arnhem aux Pays-Bas. J’avais déjà vu beaucoup de très belles images de cerfs prises à cet endroit, et ma curiosité était piquée. Quand Rüdiger m'a proposé d'y aller pendant le brame, j'ai tout de suite accepté. Nous voilà donc en route. La brume est omniprésente tout au long du trajet, et les embouteillages du matin sont aussi désagréables qu’en Belgique. J’ai un peu de mal à croire que je vais voir des cerfs …
Le parc en lui même est composé de différents paysages, depuis la forêt de feuillus classique jusqu'à la lande de bruyère en passant par le terrain carrément sablonneux, cela promet d'être sympa. Comme en Ardenne, les geais sont très nombreux, et cet automne est décidément riche en champignons !
Nous arrivons juste après l'ouverture et faisons (en voiture ...!) le repérage des places intéressantes pour le brame. La préposée à l'entrée nous avait bien dit que nous ne pourrions pas les rater ... Nous explorons donc les différents paysages du parc, tous vraiment somptueux, et suivant les conseils d’un photographe croisé le matin, nous arrivons à une des places de brame vers 15h45. Nous ne sommes pas les premiers !
Le paysage est splendide : une lande de bruyères qui a du exploser de couleurs jusqu’il y a quelques semaines. La lumière du couchant qui nous arrive dans le dos est idéale ! Une fois le matos installé (pour trouver le meilleur angle, il suffit de regarder ce que fait son voisin …), nous patientons en discutant un peu avec d’autres photographes hollandais, dont certains sont de toute évidence des habitués. Leur vision de la photo de nature est fondamentalement différente de la nôtre, et ils n’ont aucune idée de la moindre gestion d’une population de cervidés. Je le sens un peu mal … Quelques cerfs sont visibles à plusieurs centaines de mètres, quelques brames mollassons fusent à gauche où à droite. Il y a visiblement beaucoup de mâles dans la zone !
Enfin, un groupe se montre plus près sur la gauche. Beaucoup de biches, menées par un gros cerf qui a déjà une pointe cassée. Ils se rapprochent jusqu’à une distance incroyablement courte, et là le spectacle commence : pendant plusieurs heures sans interruption, toute la vie du brame va se dérouler sous nos yeux ! L’énorme harde de biches et de faons de l’année, va se voir convoitée, défendue, va passer d’une influence à une autre, y compris au prix de petites trahisons. Il y aura des brames magnifiques, des marches parallèles, des combats, des comportements d’intimidation, des cerfs opportunistes, d’autres observateurs, certains exclusifs et d’autres plus cools, un agressif et un carabinier d’Offenbach. Certains voudront rejoindre leur maman et un autre gamin fera le chien dans le jeu de quille. En tout 5 cerfs matures, 1 jeune fou et deux daguets, plus 30 biches et bichettes vont assurer le spectacle pendant 3h30!
Voici un petit florilège de cette énorme moisson de photos, qui a duré jusqu’à plus soif à la tombée de la nuit quand il faisait trop sombre pour encore prendre la moindre photo.
Le cerf de place, qui a perdu toutes ses biches, a malgré tout évincé 3 adversaires différents avant de déclarer forfait et termine épuisé sur le côté du champ de bataille, à quelques petites dizaines de mètres de la route.
Le parc fermant à 20h00, nous avons du nous dépêcher pour ne pas rester enfermés. Nous nous sommes encore malgré tout arrêtés pour photographier une prairie embrumée.
Nous nous sommes arrêtés avant de rejoindre l’autoroute pour noter ce que nous avions vécu, afin de ne pas oublier d’épisode de cette saga d’automne.
Making of de ces photos
Comme je vous l’ai dit, je me suis senti assez mal pendant cette séance de photographie de cerfs. Voici pourquoi : Hoge Veluwe est un parc de 5400 ha, avec une population de 200 cerfs, mais qui ne vivent qu’en semi-liberté. Ce « troupeau » constitue le principal attrait du parc, et est donc soigneusement rentabilisé. En période de brame, c’est chaque jour plusieurs centaines de photographes qui sont en poste.
Afin d’assurer un « spectacle » tous les jours à heure fixe, les cerfs sont attirés avec de la nourriture jusqu’à une très petite distance du public, et dans un endroit soigneusement choisi pour ses qualités esthétiques.
Dans ma toute grande innocence, je n’imaginais pas que les si belles photos que j’avais vues étaient en fait presque faites en studio. J’avoue avoir d’abord été dégoûté, et même avoir eu envie de replier bagage immédiatement. Puis je me suis finalement ravisé et j’ai même pris un réel plaisir à observer de si près tous ces comportements que d’habitude on ne peut voir que par bribes et dans un environnement peu favorable à la photo. Mais le plaisir était quand même nettement moins fort ...
Les photographes hollandais avec qui nous discutions pendant le spectacle (car en plus c’était un vrai souk !) étaient eux extrêmement étonnés de la manière dont nous pratiquions la photo de nature « en vrai ».
No comment …
PS : Après la publication de cette note, j'ai reçu quelques infos complémentaires sur le "nourrissage" : il semble en vérité très limité dans le temps et en quantité. ce qui me rassure un
peu. Mais malgré tout subsiste une question : ne pourrait-on pas rendre cette zone d'observation un peu moins "cirquesque" ? Les humains sont agglutinés le long de la route sans aucune protection
visuelle, comme au zoo. En sachant que le reste de l'année ces cerfs sont craintifs, quel est l'impact de ce carnaval sur leur vie sociale ? Bien que cela ne semble pas trop les déranger, est-ce
qu'une simple palissade avec des ouvertures ne leur permettrait pas une meilleurs intimité? Et également pour les observateurs : je ne garderais pas le sentiment d'avoir assisté au "spectacle des
cerfs", platement, touristement, comme si j'avais vu le spectacle des otaries ou des perroquets dans un parc d'attraction.
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